Gastronomie en Avignon
Le Bonheur est dans l'assiette
Les virées gourmandes en Provence se suivent et ne se ressemblent pas. Un chapelet de repas de printemps en Avignon a fait oublier une malheureuse expérience marseillaise au cœur de l'hiver (La GéoGraphie n° 2). Il est vrai qu'en Avignon, au joli mois de mai, tous les produits sont gaillards. L'agneau est fondant et juteux, les légumes parés de vert tendre explosent de sève et de saveur, les petits pois rivalisent de fraîcheur avec les asperges et les fèves, les premières fraises et framboises colorent à peine les lèvres, mais murmurent un irrésistible «reviens-y».
Les vins blancs et rouges, souvent puissants et difficiles à apprécier les jours de canicule -lesquels sont nécessaires pour écouler les rosés! -, racontent avec verve les fragrances de la nature provençale et le souvenir de l'été qui les a vus naître. Comme en toute saison et en tout lieu, mais particulièrement au printemps, plus les apprêts culinaires sont simples, plus les émotions sont fortes. Heureusement, il se trouve en cette contrée de vrais chefs et de vrais vignerons humbles et vibrants, amoureux de leur terroir et de leurs hôtes.
À tout seigneur, tout honneur, commençons par les petits pois. Ils déchaînaient la folie
à la cour de Louis XlV.
Madame de Maintenon composa à leur gloire le plus beau poème gastronomique en prose de la langue française: "L'impatience d'en manger, le plaisir d'en
avoir mangé, et la joie d'en manger encore, sont les trois points que nos princes traitent depuis quatre jours ( ... ). C'est une mode, une fureur.» Aujourd'hui, la nébuleuse des Maisons de
Baumanière leur consacre tous ses talents lorsque revient le printemps, sous la baguette très sûre de Jean-André Charrial qui magnifie le patrimoine hérité de son grand-père, Raymond
Thuilier. À l'Oustau de Baumanière, l'excellent chef d'origine pakistanaise Sylvestre Wahid les cuisine à la perfection: en crème chaude ou froide, à la française pour accompagner des ris de veau finement panés ou, sur demande, au
naturel. Sans apprêt, à peine étuvés aussitôt tombés de leur cosse, ils sont, comme écrivait James de Coquet, "d'un vert aussi ardent que s'ils étaient
sortis d'un personnage de Véronèse. Du véritable caviar vert». Des haricots verts de cinq centimètres de longueur, des fèves et des cœurs d'artichauts poivrade leur font cortège dans l'émouvante
assiette de "légumes de printemps, cuits et crus, d'autres en fins copeaux, condiments tomates/truffes », mais vous pouvez aussi sacrifier à l’oeuf de
poule, asperges vertes au fumet de truffe noire en chaud froid ». Et pour suivre, abandonnez-vous à la magie iodée des rougets barbets que l'
Oustau réinterprète en permanence, tout comme le canon d'agneau de lait ou la poitrine de pigeonneau.
Évitez à tout prix le vieux village des Baux, triste amas de médiocres mangeries et de boutiquiers qui sont à la Provence ce que Mireille Mathieu est à Édith Piaf. À deux pas du vaisseau amiral qu'est l'Oustau, au sortir du Val d'Enfer, Michel Hulin, le chef de La Cabro d'Or, vous soignera avec les mêmes joyaux du potager de Baumanière, de la Méditerranée et des garrigues d'alentour, et ce à des tarifs nettement plus accessibles.
Les restaurants du vieil
Avignon sont moins jubilatoires. Les gargotes attrape-touristes y pullulent. Les tables en vue donnent dans le déstructuré, le chichiteux et les brimborions. On se croirait dans une mise en scène
de Jan Fabre au Festival. À oublier. Réfugiez-vous à La Petite
Pêche, une minuscule et accueillante adresse du quartier de la Balance: uniquement du frais poisson, bien cuit, sans autre apprêt qu'un filet
d'huile d'olive, et à prix très doux. Vous pouvez aussi franchir le Rhône et retrouver la plus récente des Maisons de Baumanière: Le
Prieuré à Villeneuve. Jean-André Charrial y a installé au piano un jeune chef qui a pas mal roulé sa toque dans de grandes maisons, Fabien Fage.
Retenez bien son nom, car son talent est mûr. Les" Belles asperges du Gard gratinées à la moelle et au parmesan, jaune d’œuf onctueux et vieux jambon ibérique» constituent une belle symphonie qui ne manque pas de
nerf. Malgré la longueur abusive du libellé - au moins, vous savez ce que vous mangez! - , la "Pièce de bœuf Siementhal rôtie au poêlon, pressée de pomme de terre de montagne au lard noir de
Bigorre, royale de moelle et foie gras grillé, réduction d'une bordelaise au grué de cacao» est un plat de caractère et d'harmonie, tout comme le vraiment délectable" Râble et côte de lapin rôtis
avec leurs abattis, mousseline de petits pois et févettes aux oignons nouveaux ». La « Douceur de fraise et croustillant meringué, mousseline ivoire basilic » vous permettra une légère
et béate après-dînée. Suivez le sommelier sur les chemins des beaux domaines des rives de riaume ou d'empie et variez vos plaisirs en choisissant des vins au verre: un Cairanne blanc du domaine
Alary, un côtes-du-Luberon de chez Ruffinato ou une Costières-de-Nîmes du château Mourgues du Grès.
Il ne serait pas raisonnable de quitter la terre des papes
sans rendre un hommage au vignoble de Châteauneuf qu'ils possédaient au Moyen Âge. Pendant longtemps, on y a produit du vin sombre et lourd qui venait soutenir les bordeaux et les. bourgognes de
petite naissance. Depuis trois quarts de siècle, l'appellation s'est hissée au sommet, au point que le Clos des Papes a été récemment classé meilleur vin mondial par le magazine
américain Wine Spectator!
On ne compte plus les grands domaines qui savent aujourd'hui tirer des cailloux de la Durance de voluptueux rouges et des blancs racés et nerveux qui
gagnent à être connus, comme tous les vins blancs secs méditerranéens 1. Un bonheur n'arrive jamais seul: Châteauneuf possède aussi une bonne table, la plus géographique qui soit, puisque Le Verger des Papes est pourvu d'une terrasse d'où l'on aperçoit le Ventoux; la ville d'Avignon et le beau ruban du Rhône qui serpente au milieu des vignes.
Et en plus, c'est bon ! Une assiette provençale de légumes confits ou une salade de pointes d’asperges et de filets de cailles, une côte de
taureau de Camargue AOC grillée : voilà de quoi mettre en valeur sans vous ruiner les belles cuvées qui sommeillent dans la cave gallo-roamine du lieu.
Les plus célébres – et à juste titre – sont ceux de la famille Perrin au Château de Beaucastel et du Château
Rayas, mais il en est bien d’autres qui méritent l’affectation, comme par exemple les diverses cuvées de la délicieuses famille Coulon au Domaine de Beaurenard . Cette dernière produit également un superbe Rasteau rouge.